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Thursday 6
sess_4372
Anne Mercier (Maine Sciences)
› 9:00 - 9:30 (30min)
› Salle de conférences
Calculer à Greenwich au 19e siècle : résistances, opportunités et le «registre caché » du personnel des observatoires
David Aubin  1@  
1 : Institut de Mathématiques de Jussieu  (IMJ)  -  Website
CNRS : UMR7586, Université Pierre et Marie Curie [UPMC] - Paris VI, Université Paris VII - Paris Diderot, Université Pierre et Marie Curie (UPMC) - Paris VI
2, place Jussieu 75251 Paris Cedex 05 -  France

Dans le grand portrait qu'il brosse de l'Angleterre industrielle en 1866, le Républicain en exil Alphonse Esquiros souligne la situation précaire des calculateurs de Greenwich, prolétaires de la science qui sont à la merci totale de l'astronome royal George Biddell Airy : « Il est curieux de voir [...] ces compteurs gravement occupés à aligner du matin jusqu'au soir de lourdes colonnes de chiffres. La plupart d'entre eux sont tout à fait étrangers à l'astronomie ; ils calculent aveuglément sans savoir au juste ce qu'ils prouvent, “ce sont les meilleurs,” ajoutait en souriant M. Airy. »

L'histoire du personnel des observatoires peut être écrite de manière relativement détaillée du fait de la grande richesse des archives que conservent habituellement ces institutions scientifiques. Pourtant, elle n'a guère fait l'objet d'études systématiques jusqu'à ce jour. Cela est peut-être dû à l'insuffisance des modèles traditionnels de l'historiographie qui prennent en considération ces travailleurs de l'ombre. Ces modèles oscillent souvent entre deux pôles : la revalorisation plus ou moins héroïque des « techniciens invisibles » (selon l'expression de Steven Shapin) et l'étude de l'invention d'une organisation managériale (volontiers associée aux travaux de Michel Foucault) qui parviendrait à exploiter à moindre frais une force de travail de plus en plus disciplinée, prolétarisée, voire opprimée. Mais aucun de ces modèles n'est entièrement satisfaisant.

L'étude des volumineuses archives de l'observatoire de Greenwich permet de confronter ces modèles à l'expérience d'un groupe de jeunes hommes employés à la réduction des observations des planètes et de la lune entre le milieu des années 1830 et 1848. Si cette histoire est relativement bien connue comme marquant une étape importante dans les processus de division du travail intellectuel et du développement d'une pensée algorithmique en astronomie computationnelle, le point de vue des calculateurs n'est guère mis de l'avant. Des papiers aujourd'hui conservés à la bibliothèque de l'université de Cambridge émerge une histoire scandée par petits gestes de résistance à l'autorité de l'astronome royal et par de multiples opportunités qui récompensent plus ou moins bien la discipline que les calculateurs parviennent à s'imposer à eux-mêmes. On s'appuiera, entre autres, sur les travaux de Antonio Gramsci, Jacques Rancière, E. P. Thompson et James C. Scott (auteur de Domination and the Art of Resistance : The Hidden Transcripts) pour tenter de déterminer dans quelle mesure la participation des calculateurs à la science officielle montre leur adhésion à la culture hégémonique et souligne les possibilités d'émancipation qui en résulte, ou bien si, au contraire, ils ne consigneraient pas secrètement leurs doléances dans un « registre caché » qu'il serait peut-être possible de reconstituer partiellement.



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