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Thursday 6
sess_4374
Nathalie Richard (CERHIO, Université du Maine)
› 11:45 - 12:15 (30min)
› Salle de conférences
Savoirs du corps, savoirs du nombre. Le contrôle de naissances et les savoirs de la population
Luca Paltrinieri  2, 1  
2 : CIRPP, centre de recherche de la Chambre de Commerce et de l'Industrie de Paris
CCI de Paris
1 : Centre international de recherche Philosophie, Lettres, Savoirs  (CIRPHLES)  -  Website
CNRS : USR3308, Ecole Normale Supérieure de Paris - ENS Paris
ECOLE NORMALE SUPERIEURE PARIS Pavillon Pasteur 45, rue d'Ulm 75005 PARIS -  France

Vidéo de l'intervention accessible sur la plateforme Canal-U

 

L'émergence soudaine de la catégorie de « population » au milieu du XVIIIe siècle en France ne correspond pas à une modification profonde des savoirs proto-démographiques : l'arithmétique politique continue de se servir de table de mortalité et il faudra attendre la fin du siècle pour voir apparaître les prémices de la statistique moderne. Pour Foucault l'apparition de ce « nouveau personnage » montre que le coup de force est politique et économique : il ne s'agit plus d'obtenir une augmentation du « nombre des hommes » par des mesures volontaristes, mais bien une sorte d'adéquation réciproque entre la population et le flux des richesses. La « population » apparaît ainsi à l'intérieur d'une technologie gouvernementale nouvelle, le libéralisme, où elle se présente comme un objet connaissable scientifiquement et apparaît comme un guide « externe », objectif en quelque sorte, du politique. Le concept de population serait ainsi d'abord une sorte de « fiction théorique » permettant l'ouverture de nouveaux champs d'investigation et d'une nouvelle stratégie gouvernementale.

Cette interprétation ne prend toutefois pas suffisamment en compte l'énorme problématisation morale rattachée à l'usage du terme. La prolifération des discours sur la « population » et la transformation de cette problématique entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle montre en effet qu'on passe de la question « comment obtenir un plus grand nombre de personne ? » à la question « comment maîtriser et faire entrer dans un calcul économique la reproduction ? », autrement dit comment réguler l'activité sexuelle. L'enjeu de ces discours ce sont les effets économiques et politiques de la procréation et de la sexualité.

Or, si le rapport entre le nombre des hommes et la procréation a été posé comme pouvant être pensé, c'est parce qu'une autre transformation fondamentale a eu lieu ailleurs : c'est la diffusion, ou mieux la diffusion présumée, de la limitation des naissances à l'ensemble de la population française. Cet événement obscur apparaît dans le discours « public » à la fois sous la forme du scandale et sous la forme de la peur. Scandale, car la diffusion de la contraception dans le mariage montre l'intervention de la volonté humaine dans un domaine qui, traditionnellement, relevait de la volonté divine et de l'ordre naturel. Peur, car on pense que la restriction de la natalité est en train de se diffuser des villes aux campagnes, des élites au peuple, entraînant le pays dans une catastrophe démographique. Tant que la procréation était pensée comme une nature qui relève de l'ordre divin, la dépendance mécanique par rapport aux subsistances suffisait pour déterminer le « nombre des hommes ». Mais avec la pénétration des conduites rationnelles et calculantes dans la sphère de la procréation, le nombre des hommes est apparu pour la première fois comme dépendant, au moins partiellement, d'une volonté pouvant se diffuser à l'ensemble de la société : à partir de ce moment, la population pouvait faire l'objet d'une « problématisation ».

Mon hypothèse est donc qu'il faut voir dans la perception de la généralisation du contrôle des naissances l'événement qui a transformé l'« urgence » de la dépopulation en « émergence » de la population. On glisse ainsi d'une histoire anachronique des savoirs démographiques à une histoire politique de la population comme problème économique, jusqu'à la mise en lumière d'une série de conduites et de savoirs « d'en bas », produits par des acteurs qui ne sont pas des simples « récepteurs », mais des « inventeurs » d'un nouveau usage de techniques corporelles et d'une nouveau mode circulation de ces savoirs. Certes, les moyens pour le contrôle des naissances existaient bien avant le XVIIIe siècle, et ils avaient déjà une histoire assez glorieuse dans les milieux libertins ou de la prostitution. Mais la vraie nouveauté consiste désormais à employer ces moyens dans la famille, non plus pour éviter tout risque de grossesses, mais pour limiter le nombre d'enfants. Le sens de l'usage d'une technique change complètement, et on pourrait parler à ce propos d'un bouleversement anthropologique majeur, qui jusque-là relevait de l'« impensable » (Ariès). L'émergence du problème « économique » de la population doit alors être resitué à l'intérieur d'une problématisation plus large qui concerne la capacité d'agir des hommes et des femmes en matière de production et de reproduction. Comment réécrire l'histoire des savoirs démographiques à la lumière des cette production des populations par elles-mêmes ?

Cette communication se base sur la mise en relation des trois types d'archives : les traités proto-démographiques (Moheau, Messance, Sussmilch), les pamphlets concernant la problématisation « morale » de la reproduction (Goudar, Mirabeau, Faiguet de Villeneuve), et les recherches de la démographie historique sur l'essor du contrôle de naissances au XVIIIe siècle (Henry, Flandrin, Ariès).



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