La diffusion de la médecine occidentale dans la réserve navajo est souvent dépeinte comme une suite d'événements héroïques marquant progressivement la victoire de la Science sur l'obscurantisme et les superstitions caractéristiques de la médecine traditionnelle. La création des premiers hôpitaux a bel et bien été accompagnée d'efforts missionnaires et culturels pour assimiler les Navajo et faire valoir l'efficacité de la médecine non-spirituelle sur celle des pratiques rituelles. Il faut attendre la fin des années 1960 et le début des mouvements contestataires émanant des minorités raciales et sexuelles pour que des représentants politiques et religieux Navajo mettent en place des actions éducatives et sanitaires (création d'un programme de formation pour hommes-médecine, enregistrement des Chants, enseignement du Navajo) pour empêcher la disparition programmée des cérémonies traditionnelles et obtenir une reconnaissance publique et scientifique de l'utilité des traditions curatives. Aujourd'hui, les deux types de médecines ne sont plus en concurrence mais semblent au contraire se compléter harmonieusement dans un système de santé qui a fait du respect des croyances des patients Navajo le cœur de son fonctionnement administratif et éthique.
Lorsqu'on décrit l'évolution du cadre hospitalier de la réserve navajo, on ne saurait faire l'impasse sur les tensions ayant existé entre les hataali (guérisseurs navajo) et les médecins rompus à des techniques et savoirs médicaux ne reposant pas sur une vision spirituelle de la maladie. La dimension colonialiste du développement des structures de soins s'impose également à la démarche historiographique du chercheur manipulant de nombreuses sources : correspondance d'infirmières protestantes, témoignages de bergers rassemblés dans le cadre d'un programme d'histoire orale, photographies de cliniques, mémoires biographiques de médecins, compte-rendu de sessions du Conseil Tribal, chartes hospitalières...
Néanmoins, sans remettre en cause le contexte de revendication identitaire dans lequel s'inscrit la perpétuation de la médecine rituelle, l'étude du rôle joué par des figures intermédiaires, n'appartenant pas à la profession médicale, dessine, en creux des luttes, une autre histoire, parsemée d'emprunts, de fascination mutuelle, de points de rencontre entre savants blancs et Navajo non-acculturés. Quels savoirs et usages politiques du passé (Hartog, Revel) faut-il mobiliser pour rendre compte de l'existence d'acteurs historiques ignorés ? Enfin, quelle importance accorder à ces témoins d'en bas qui, en proposant une vision de l'histoire plus pacifiée, s'inscrivent en porte-à-faux d'un récit historique de luttes et de résistances pourtant largement diffusé ?
- Presentation