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« Science par en bas et violon d'Ingres »
Jacqueline Carroy  1, *  
1 : Centre Alexandre Koyré - Centre de Recherche en Histoire des Sciences et des Techniques  (CAK-CRHST)  -  Website
CNRS : UMR8560, École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS]
Muséum National d'Histoire Naturelle Pavillon Chevreul 57, rue Cuvier 75231 Paris cedex 05 -  France
* : Corresponding author

« Violon d'Ingres » est devenue, semble-t-il, dans le cercle de l'écrivain Théophile Gautier, une locution française, synonyme de l'Anglais hobby, pour désigner « l'activité d'élection qu'une personne cultive en dehors de son activité principale. » Je rappellerai brièvement l'histoire des rapports d'Ingres à la musique, l'un de ses violons figurant au musée Ingres de Montauban. Cette histoire pourrait servir d'apologue concernant des figures de personnages connus ou célèbres, qui eurent en leur temps une activité d'élection à visée savante plus ou moins en marge ou en dehors de leur domaine de reconnaissance.

Je m'attacherai à un exemple particulier de « violon d'Ingres » portant sur le psychisme, les rêves et la rêverie. Les journaux intimes des années 1905-1922 de l'homme politique socialiste Marcel Sembat (1862-1922), publiés en 2007 sous le titre Les cahiers noirs, font découvrir une figure inattendue de diariste savant, passionné par son économie intime, corporelle, sexuelle, psychique et affective. Ami de Matisse et homme des avant-garde, Sembat est un grand lecteur de sociologie, d'ethnologie et d'histoire, mais aussi et surtout de psychologie philosophique et pathologique, ces deux types d'approches n'étant pas antagonistes pour lui comme pour ses contemporains. Il rédige, à son usage personnel, des comptes rendus d'ouvrages de psychologues célèbres comme Théodule Ribot, Pierre Janet et Alfred Binet. Il est reconnu comme un possible spécialiste : Georges Dumas, directeur du Journal de psychologie normale et pathologique le sollicite en 1905 pour écrire un article sur le rêve éveillé qui restera à l'état d'ébauche. Sembat accumule les lectures sur ce thème, se vivant souvent lui-même comme un « dormeur éveillé », sur le modèle d'un patient, célèbre à l'époque, de Philippe Tissié, et troublé par l'intrusion de visions érotiques dans sa vie diurne et nocturne. C'est pourquoi il est sensible, dès 1902, en lisant Paul Hartenberg, à l'importance des conceptions de Freud sur la sexualité. Son journal dessine en pointillé l'ouvrage savant sur les rêves qu'il n'a jamais pu publier.

Une première question, que je souhaiterais soumettre à la discussion, concernerait les objets inspirant, de manière privilégiée, des activités savantes « annexes » de prédilection. Le psychisme, souvent dans ses modes d'existence et d'expérience nocturnes, intimes ou merveilleux, a constitué au 19e siècle un laboratoire et un observatoire fascinants accessibles à tous. S'il est peu fréquent qu'un psychiatre soit aussi un spécialiste des fourmis, comme ce fut le cas d'Auguste Forel, il me semble qu'à travers les multiples exemples développés dans les communications à ce colloque, on pourrait identifier des « violons d'Ingres » privilégiés selon les époques.

Il pourrait être intéressant, en second lieu, d'interroger la notion d'histoire par en bas et, à tout le moins, de la rendre plus complexe. Pour reprendre l'exemple dont je suis partie, Marcel Sembat était-il un amateur jouant ses partitions de psychologie à la manière d'Ingres, un psychologue « par en bas », un dilettante, comme l'en accusèrent certains, ou un homme cultivé, au sens de l'époque ?

 



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