Vidéo de l'intervention accessible sur la plateforme Canal-U
L'histoire prend dès les années de Restauration une place décisive dans le débat public : les Ultras favorisent les manifestations de deuil et d'expiation visant à rejeter en bloc les années révolutionnaires et impériales autant qu'ils s'enthousiasment pour la vogue troubadour et le premier romantisme ; les libéraux entendent montrer par l'histoire le rôle essentiel du Tiers-Etat dans la genèse de la nation française moderne. Dans les deux cas c'est bien l'histoire nationale, cristallisée autour de figures royales ou d'événements édifiants, qui sert de vecteur aux affirmations politiques et sociales de l'après-révolution. Deux discours s'affrontent, l'un mettant l'accent sur une vision tantôt cyclique, tantôt linéaire du temps, que la Révolution a interrompue de manière illégitime, l'autre sur une vision progressiste du temps, dont la Révolution a été l'accélérateur.
Ces pratiques culturelles du passé ne se cantonnent néanmoins pas aux élites savantes ou politiques : on en retrouve trace dans les milieux populaires. Des centaines d'individus arrêtés pour « propos séditieux » sous la Restauration, certains autodidactes laissant des récits autobiographiques, des écoliers dont nous avons conservé les cahiers, relaient une vision très cyclique du temps, où la légitimité du pouvoir politique tient une place centrale. Au contraire, de nombreux ouvriers, parfois proches des milieux saint-simoniens, déploient une vision très progressiste de l'histoire, dans laquelle la rupture est un motif central.
Comment approcher les canaux culturels qui font le lien entre des visions du passé conçues dans les milieux savants, parfois depuis des décennies, et leurs « emprunts appropriés » (M. Verret) par les couches populaires de la première partie du XIXème siècle ? Quelles pratiques de l'histoire ces rapports au passé viennent-ils construire ? Enfin, sur quelles sources l'historien d'aujourd'hui peut-il s'appuyer pour analyser ces circulations culturelles ? Afin d'apporter des éléments de réponse à ces questions, nous nous proposerons de donner quelques pistes de travail, en nous appuyant sur l'étude du Journal que le jardinier caennais Jean-Jacques-Victor Dufour (1772-1850) a tenu tout au long de sa vie.
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