En 1872, au bout d'un cursus élitiste, Charles Janet sort ingénieur-mécanicien de l'École Centrale des Arts et Manufacture. Son diplôme lui confère alors l'autorité scientifique acquise par « le haut ». Et c'est logiquement qu'il fera carrière dans une très grosse industrie. Cependant, ses recherches personnelles le conduiront à reprendre un parcours par le bas pour devenir tour à tour géologue, paléontologue, entomologiste, biologiste et chimiste. Très loin de l'univers de la machinerie productive, ses principaux travaux portent notamment sur l'histologie des fourmis et l'éthologie des hyménoptères. En 1893, vingt années après sa sortie de Centrale, la première de ses 24 notes paraît dans les comptes-rendus de l'Académie des sciences.

Amateur, provincial, autodidacte, indépendant et méconnu sont alors des qualificatifs qui tendent à le placer parmi les acteurs de l'histoire des sciences vue « par en bas ». Mais la limite se brouille vers 1900. Ainsi au tournant du XIXe siècle, à près de cinquante ans, il obtient son doctorat es-sciences naturelles et est élu à la présidence de la société zoologique de France.
Cette même année encore, il est classé hors concours à l'exposition universelle de Paris pour ses nids de fourmis. Il tiendra là son acmé, au sommet de l'amateurisme et à la frontière du professionnalisme.
 
En prenant Charles Janet comme témoin des entomologistes amateurs, nous étudierons leur représentativité et leur pénétration dans les organes officiels. Nous verrons que l'amateurisme était la norme des membres de la société entomologique de France, de la société zoologique de France et jusque dans les récompenses attribuées par l'Académie des sciences. Les limites sont cependant poreuses et la mixité entre amateurs et professionnels bien réelle. D'où une
interrogation logique : cette limite était-elle opérationnelle à l'époque ? Une seconde approche plus biographique, par le vécu et le ressenti des acteurs eux-mêmes donnera un éclairage qui tentera d'ajuster ces limites « de l'intérieur ». Les témoignages seront recensés dans des discours d'entomologistes, dans la correspondance de Janet et dans d'autres sources moins directes. Ils permettront d'ajouter les critères du cursus universitaire et du provincialisme comme limite à la contribution scientifique de ces amateurs. 

Outre affiner la complexe frontière entre les contributeurs par le bas ou le haut à cette science, le réseau de Janet mettra en lumières l'hétérogénéité des amateurs allant des autodidactes provinciaux aux diplômés parisiens qui sont les plus proches de la science officielle. La biographie de Charles Janet sera donc ici le support contribuant à la question de l'histoire
de l'entomologie vue « par en bas » à la fin du XIXe.