L'objet de cette communication est de retracer des épisodes de l'histoire française de la perception de la perturbation individuelle ou collective de la qualité de l'air ambiant. Il s'agit de faire une histoire de la caractérisation et de la factualisation de la pollution atmosphérique adossée sur une pragmatique du trouble que ressentent les personnes. Je comprends l'entrée dans le terrain de l'histoire des sciences par le bas, comme celui de la remise au goût du jour du rôle de l'expérience personnelle, du sens commun, par rapport à une activité académique ou technique d'appréhension du réel. Je montrerai que l'on peut rendre symétrique le questionnement sur ce qui importe pour les gens, localement, et ce qui est pertinent pour un programme de mesure mécanisé de la pollution de l'air.
L'histoire racontée à grand trait part d'expériences et d'outils de mesures de la pollution de l'air, concentrés sur l'émission de la pollution depuis la loi de 1932 sur les fumées ; on cherchait à mesurer ce qui sortait des cheminées des usines et des foyers domestiques ; et elle évolue alors vers la mesure à l'immission ou encore la question d'exposition personnelle dans l'air ambiant des villes. Cette césure est marquée par la période du tournant des années 60 en France et explique comment une gestion du trouble individuée, c'est à dire conjoignant dans l'individu son exposition à la pollution et la capacité réflexive de qualifier cette pollution, et d'en faire la preuve, est progressivement effacée et supplantée par un confinement de la mesure par l'université et les laboratoires techniques. On assiste alors à une dépossession de la capacité à qualifier la mesure par le riverain d'usine par exemple, au profit du maillage d'un réseau de postes de mesures dans les villes, fédérés dans des associations qui vont donner, après la loi sur l'air de 1996, les Associations Agréées, de Surveillance de la Qualité de l'Air.
On finira ce tour d'horizon rapide de 80 ans de qualification de l'air en France par les initiatives récentes des réseaux de nez, c'est à dire de vigies sentant l'air, qui entérinent leur retour en grâce dans les réseaux de mesure, mais pour certaines comme des « drones » des scientifiques, et pour certaines seulement comme des mécanismes de restitution d'un pouvoir au niveau des personnes. On trouve alors écho, à travers les réseaux de nez, au mouvement d'individualisation de la responsabilité et de la production de sens au niveau donc des personnes, qui court dans les expériences de protection de l'environnement plus générale depuis 20 ans.
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