Vidéo de l'intervention accessible sur la plateforme Canal-U
Ma communication vise à restituer le mouvement de retour au patient opéré par certains psychiatres, issus d'une nouvelle génération formée après la Deuxième Guerre mondiale, qui vont progressivement devenir les figures médiatiques d'une psychiatrie critique. Ces jeunes psychiatres (Franco Basaglia en Italie, Ronald Laing en Grande-Bretagne, voire certains promoteurs du secteur psychiatrique en France) se caractérisent par une insatisfaction croissante face à leurs maîtres et plus encore face aux pratiques d'une psychiatrie universitaire élaborée loin des patients et cherchant avant tout à se reposer sur des classifications quelque peu immobiles. Au début des années 1960, on assiste ainsi à un mouvement qui revendique une psychiatrie accomplie au plus près du patient face à une psychiatrie qui aurait perdu de vue celui-ci ; un mouvement qui prône, dans cette perspective, de considérer le patient comme une personne et non comme le reflet d'une stricte entité clinique et qui ne s'appuie pas exclusivement sur une médecine techno-scientifique mais qui prendrait en compte voire privilégie la compréhension de l'autre. En outre, ces psychiatres contestent les modalités du savoir psychiatrique tel qu'il s'élabore et se produit à cette époque.
Ma communication s'appuie principalement sur le compte rendu d'entretiens menés par le psychiatre britannique Ronald Laing avec un patient schizophrène et en présence de ses parents. Face à ce document, l'historien découvre, dans sa banalité, le travail clinique effectué par un psychiatre. Le contenu des questions, les échanges rapportés et la présence des parents donne à ce document une richesse réelle et permet d'apporter une lumière incontestable sur le travail du psychiatre. Mais il engendre un certain nombre de questions à l'historien.
Cette promotion d'une psychiatrie par en bas et accomplie avec et pour le patient conduit-elle l'historien à être au plus près de la vérité de la souffrance et de la réalité de ce que le patient ressent et affronte? Si ces documents sont des documents d'une valeur singulière, l'historien n'est-il pas exposé en les privilégiant à devenir tributaire d'un projet que poursuivent ces psychiatres et qui vise à construire une autre psychiatrie ; une psychiatrie où le patient prendrait la parole comme le revendiquait dans un ouvrage majeur l'italien Franco Basaglia en 1968. Cette promotion d'une psychiatrie sans docteurs conduit-elle l'historien à construire une histoire des patients et à retracer une histoire des savoirs profanes? Une histoire « par en bas » de la pratique psychiatrique dans les années 1960 doit-elle nécessairement suivre l'objectif de la psychiatrie critique qui cherche à démontrer que le patient psychiatrique est fréquemment le produit d'une construction sociale inadéquate ce qui anéantirait les fondements du savoir médical ? L'historien ne doit-il pas exercer une déconstruction de ce projet en s'interrogeant, par exemple, sur les possibles mises en scène de ce patient stigmatisé par une lecture psychiatrique dont la validité scientifique n'allait plus de soi.
Face à ces questions, il conviendra en dernier lieu de s'interroger sur le choix de tels documents. Ne serait-il pas le reflet d'une simple tentation de (toujours) travailler sur les grands hommes de la psychiatrie critique ? Peut-on spontanément considérer que les documents laissés par ces psychiatres dans leurs archives sont le témoignage d'un savoir profane ou, au contraire, ne sont-ils pas les instruments potentiels pour une reconstitution héroïque d'une psychiatrie alternative qui a connu une certaine diffusion à partir de ces années 1960 ?
- Presentation