Thursday 6
sess_4375
Annick Ohayon (Université Paris VIII)
› 11:15 - 11:45 (30min)
› E 18
Fou et fier de l'être. La psychiatrie et les publications d'autobiographies de patients en France et en Grande–Bretagne au XIXe siècle
Aude Fauvel  1@  
1 : IUHMSP de Lausanne

Marquée par l'image du « pouvoir psychiatrique » tout-puissant, l'historiographie a longtemps vu le XIXe comme le siècle où la voix des fous a été brisée, confisquée par les médecins et cloîtrée à l'asile. Dès lors, quand des exemples de malades ayant réussi à s'exprimer en public ont malgré tout été découverts, on les a considérés comme des exceptions rares de « survivants »[1], des anomalies à examiner au cas par cas, sur le mode de la singularité. Or si cette description du fou-contestataire en rebelle toujours solitaire a permis de faire émerger de fascinantes histoires individuelles (celle d'Hersilie Rouy, de Pierre Rivière, de John Perceval...), elle a aussi fait écran, les chercheurs s'étant comme interdit de lire ces textes collectivement, laissant de côté, par exemple, la question des conditions d'émergence de la littérature aliénée (pourquoi y eut-il plus de parutions d'écrits de patients en certaines époques ? quels éditeurs les publiaient ? quelle fut leur diffusion ?...). Pourtant un tel examen – entamé dans le cadre d'une histoire renouvelée de la psychiatrie – montre que les possibilités d'expression des aliénés ont en fait sensiblement varié d'un pays et d'un temps à un autre, le « silence » des fous s'avérant ainsi très relatif.

Dans la lignée de ce renouvellement historiographique, cette communication entend aborder cette question de l'histoire collective de la « voix » aliénée – ce qu'on peut en dire et ce que cela suppose de choix méthodologiques – en s'intéressant au genre des autobiographies publiées de malades, c'est-à-dire aux récits de folie qui ont trouvé éditeur hors de l'univers médical. Objets d'une certaine vogue durant la seconde moitié du XIXe siècle, ces textes témoignent en effet d'une rhétorique assumée d'inversion, puisque les malades y déclaraient que seuls ceux qui avaient vécu la folie de l'intérieur pouvaient vraiment en dire quelque chose, revendiquant ainsi ouvertement la valeur de leur savoir « d'en bas » contre la parole experte des aliénistes. Comment cette démarche fut perçue par le milieu médical, le grand public, les autres patients ? Et quel fut son impact ? C'est ce qu'on tâchera d'explorer ici en présentant le cadre général de ce corpus et en comparant la réception de deux classiques du genre The Philosophy of insanity (1860) du britannique James Frame et La loi des aliénés (1869) du français Eugène Garsonnet – dont les trajectoires contrastées renseignent sur la façon dont les sujets du savoir psychiatrique ont pu (ou non) réussir à infléchir les théories et les pratiques les concernant.


[1] Hornstein Gail A., 2011, Bibliography of First-Person Narratives of Madness in English, http://www.gailhornstein.com/works.htm.



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