« Le plat principal de la vache, c'est l'herbe ». La révolution industrielle agricole des Trente Glorieuses a longtemps fait fi de ce précepte élémentaire. Pour autant, malgré le désir de participer au progrès technique, les exploitants agricoles du centre Bretagne n'ont pas systématiquement embrassé les innovations scientifiques officielles sans les investir de leur esprit critique et de leur savoir-faire.
Le premier temps de l'exposé abordera l'historique d'un mouvement de jeunes agriculteurs qui, en 1953, a pris l'initiative de créer un Centre d'études techniques agricoles (Ceta) afin de mutualiser leurs recherches sur leurs exploitations. Ils visent « l'innovation par en bas », adaptée à des systèmes de production de taille modeste. Très vite, les résultats de leurs exploitations agricoles fondées sur la prairie temporaire de trèfle blanc / ray-grass marquent des avancées sur le plan des rendements agronomiques, de l'économie d'intrants et de l'autonomie des systèmes.
Stimulé par la personnalité charismatique d'André Pochon, le collectif a dû batailler avant que la « méthode Pochon » soit officiellement considérée par la profession et les institutions agricoles. Dès les années 1950, les agriculteurs échangent et se confrontent au monde de la recherche instituée, l'Inra. Dans les années 1980, la prise de conscience des problèmes environnementaux amènera ce groupe innovant à proposer un modèle d'agriculture durable, autour du Cedapa[1]. De la collaboration avec l'Inra naîtra un programme de recherche conjoint sur les pratiques favorables à la qualité de l'eau. L'histoire de ce laboratoire à ciel ouvert de praticiens est donc celui de l'histoire de ses rapports avec la science officielle.
Le second volet s'appuiera sur une démarche anthropologique actuelle menée auprès d'agriculteurs d'un secteur proche géographiquement, permettant de saisir les ressorts de cet engouement pour « l'herbe » à cette même période. Au cœur du contexte dynamique de l'immédiat après-guerre, on interrogera notamment l'élan porté par des prisonniers de guerre de retour de grands domaines agricoles allemands. Des entretiens d'interlocuteurs, à la pointe du changement, révèlent ainsi les fondements des idées et valeurs mobilisées, à l'origine des mutations nécessaires pour adopter les grandes lignes du modèle herbager, fondé dans les années 1950.
Dans cette histoire des idées et de l'appropriation des savoirs par des humbles acteurs de l'agronomie moderne, il convient de souligner combien l'enjeu du progrès technique et social, associé à la volonté de dépasser l'ancien modèle paysan est corrélé à un changement de régime ontologique, de l'analogisme au naturalisme, selon la classification de P. Descola[2].
Enfin, sur le plan heuristique, on examinera les sources mobilisées, leurs limites et leurs éclairages mutuels (sources écrites - les ouvrages d'A.Pochon[3] ; sources orales - entretien avec A.Pochon et enquêtes de terrain).
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