Wednesday 5
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Ghislaine Lozachmeur (Cancéropole du Grand Ouest, Université de Brest)
› 15:00 - 15:30 (30min)
› Salle de conférences
La mélancolie dans les consultations adressées au Dr Tissot (1728–1797)
Micheline Louis-Courvoisier  1, *@  
1 : Institut d'éthique biomédicale, Genève
* : Corresponding author

Vidéo de l'intervention accessible sur la plateforme Canal-U

 

 

Mon exposé portera sur l'expression de la mélancolie dans 46 consultations épistolaires envoyées au dr Tissot entre 1760 et 1797.

Les historiens ont déjà montré qu'à une époque où il n'était pas nécessaire d'objectiver le corps et où la culture de l'épistolarité était répandue, les consultations épistolaires constituaient un mode courant de rencontre entre un médecin et son malade. Les mots écrits établissaient un lien entre d'une part les sensations corporelles, la souffrance mentale et l'environnement du malade, et d'autre part les sens et la compréhension de la situation par le médecin. Théodore Tronchin, un collègue de Tissot, écrivait à l'un de ses malades: « en lisant vos mémoires; j'imagine, Monsieur, que je vous entends parler, je crois vous avoir vu et vous avoir touché »[1].

Ces consultations sont d'une richesse incomparable pour qui s'intéresse à l'histoire du corps, de la santé, de la maladie mais aussi à l'histoire du quotidien en général. Toutefois ce fonds d'archive, constitué de plus de 1500 lettres, implique de réelles difficultés méthodologiques dont les plus immédiates sont la profusion et l'éparpillement de l'information (les malades n'écrivent pas selon un schéma préétabli ou en réponse à des questions), de même que la difficulté d'établir des catégories pertinentes pour délimiter les consultations susceptibles d'offrir une réponse appropriées à une question précise de recherche.

Le corpus retenu ici a été établi en fonction d'un diagnostic explicitement posé, et non en fonction des symptômes énoncés. Ma recherche poursuit deux axes, l'un de nature lexicographique et sémantique, et l'autre qui est lié à la perspective d'une histoire des sensations corporelles. Plus concrètement, les questions sont les suivantes :

A quelles expressions les malades ont-ils recours pour dire la souffrance mélancolique (comparaisons et métaphores sont souvent convoquées pour donner forme à cette souffrance) ?

Comment interpréter ces expressions ? Que signifie « avoir de l'angoisse à l'estomac », ou de « l'inquiétude aux jambes », ou encore avoir « froid dans le sang » ? A partir de ces expressions, établir les liens que font les patients entre leurs sensations, leur souffrance mentale et une localisation organique.

Ces deux questions soulèvent deux difficultés spécifiques. D'une part, l'interprétation des mots employés est complexe, s'agissant de termes encore usuels aujourd'hui mais renvoyant à une compréhension humorale du corps et de la souffrance qui ne nous est plus familière. D'autre part, ces consultations traitant de sujets existentiels (et la mélancolie constitue encore aujourd'hui un terme très commun et un diagnostic médical) nous obligent à mettre à distance leur contenu de manière à ne pas tomber dans « la fausse familiarité »[2] ou dans un automatisme interprétatif se référant à des catégories mentales et intellectuelles anachroniques.


[1] Cité par Jean Olivier, «Les registres de consultations du Dr Tronchin», Revue médicale de la Suisse romande, vol. 69, 1949, p. 663.

[2] Patrick Boucheron, L'entretemps ; conversation sur l'histoire, Paris, Verdier, 20 12, p. 46.



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