Thursday 6
sess_4375
Annick Ohayon (Université Paris VIII)
› 11:45 - 12:15 (30min)
› E 18
« À certains moments, il semblait se rendre compte de son état, il disait ‘Je ne veux pas devenir fou' ». Questionnements théoriques et méthodologiques sur la dialectique entre psychiatres et patients à l'Hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal, 1873-1973.
Isabelle Perreault  1  , Marie Thifault  1  
1 : University of Ottawa  -  Website

Vidéo de l'intervention accessible sur la plateforme Canal-U

 

Face aux dits et aux écrits parfois délirants, irrationnels et poétiques des patients psychiatriques, comment mettre en narration historique ces discours singuliers, ces transcriptions ou correspondance qui relèvent de l'événement anecdotique, souvent savoureux et hors de l'ordinaire ? L'historien est tenté de mettre par écrit ces cas d'internement comme des faits divers hauts en couleur. Toutefois, à l'instar d'Arlette Farge, nous croyons que « saisir cette parole et la travailler, c'est répondre au souci de réintroduire des existences et des singularités dans le discours historique... » Cette communication questionnera les façons de voir et de faire l'histoire de la folie à partir de la parole retrouvée en archive. C'est à la lumière de sources rares, entre autres, les entrevues d'admission des patients – tirés du dépouillement de près de 15 000 dossiers médicaux de l'institution psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu –, entre 1873 et 1973, qu'émerge notre réflexion sur la pratique historienne en regard, plus spécifiquement, de la découverte de témoignages laissés par des gens, pour la plupart, illettrés. Nos recherches respectives nous ont amenées à lire, analyser et écrire sur des milliers de cas d'internement de la fin du 19e siècle à la mi-temps du 20e siècle. C'est à partir de cette expérience que nous entendons questionner les diverses approches méthodologiques nous permettant d'évaluer l'« élargissement du filet » des comportements déviants et marginaux qui deviennent des manifestations de folie au fur et à mesure que se confirme le 20e siècle.

 

Selon la prémisse que les savoirs « par en haut » prennent leurs sujets d'investigation « par en bas » et cela à partir des dits et des comportements des patients, nos questions méthodologiques sont les suivantes : comment analyser ces traces particulières sur les rapports entre expert et individu marginalisé et interné ? Que révèlent-elles sur les liens de pouvoir ou de résistance ? Quel point de vue adopté pour en faire une histoire « par en bas » malgré les défis que posent les discours et la position sociale même des acteurs concernés ? C'est par un jeu de demandes d'aveux et de confessions que ces savoirs médicaux formels se forment et se transforment. La lecture des dossiers psychiatriques nous permet d'avancer que les postures « par en bas », celles des patients, bousculent à coup sûr les a priori théoriques dominants en histoire sociale. Loin d'être des sujets passifs et dominés, les patients admis en institution psychiatrique se jouent bien souvent des titres de docteurs et surtout des normes sociales. Mais la question demeure : qu'elle est la part d'intention de l'acteur à se dévoiler et celle du chercheur à divulguer ? Comment négocier cette zone floue et productive de discours historiques à l'aide des outils théoriques et conceptuels actuels ? Cette communication proposera des pistes de réflexion sur l'analyse de ces archives singulières. 



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