Friday 7
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Hervé Guillemain (Cerhio, Université du Maine)
› 11:30 - 12:00 (30min)
› Salle de conférences
La pisciculture après 1850 : science ou savoir-faire ? De l'étude de cas à l'interrogation historiographique sur les présupposés d'une histoire populaire des sciences
Guillaume Carnino  1, 2, *@  
1 : Connaissance et Organisation des systèmes techniques  (COSTECH EA 2223)  -  Website
Université de Technologie de Compiègne
Centre Pierre Guillaumat B.P.60319 60203 COMPIEGNE Cedex -  France
2 : Centre de recherches historiques  (CRH)  -  Website
CNRS : UMR8558, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS]
Centre de Recherches Historiques 54 Bvd Raspail 75270 PARIS CEDEX 06 -  France
* : Corresponding author

Le 23 octobre 1848, Jean-Louis Armand de Quatrefages de Bréau, éminent naturaliste et anthropologue, lit en séance à l'Académie des sciences un mémoire intitulé Des fécondations artificielles appliquées à l'élève des poissons. Il conclut son propos par une formule choc, qui produit une vive impression sur l'assemblée, puisqu'il prévoit que les méthodes de fécondation artificielle permettront sous peu de « semer du poisson comme on sème du grain ».

Le Docteur Haxo, secrétaire perpétuel de la Société d'émulation des Vosges et lecteur assidu de la presse scientifique nationale, a vent de l'affaire et s'empresse alors d'écrire à l'Académie des sciences afin d'exposer les travaux de deux pêcheurs des Vosges, Joseph Remy et Antoine Géhin, qui selon lui « peuvent permettre de considérer le problème [de la pisciculture] comme entièrement résolu, et les savantes théories déduites à l'Académie des sciences comme passées dans le domaine des faits accomplis ».

Mais Victor Coste, académicien et bientôt médecin personnel de l'impératrice Eugénie, travaille alors depuis longtemps sur le sujet, sans avoir encore réussi à concrétiser les espoirs de ses pairs. S'ensuit donc une polémique où les tenants d'une science populaire (Victor Meunier, l'abbé Moigno, etc.) s'opposent par voie de presse aux ténors de la science académique (Henri Milne-Edwards, Jean-Baptiste Dumas, etc.).

Cette controverse, éclairée par les archives [AN F10 1762, 2629, 2630] de la commission pour le développement de la pisciculture (mise en place par Jean-Baptiste Dumas dès 1849) met en lumière certains ressorts typiques d'un déploiement académique et industriel nécessitant une appropriation préalable des savoir-faire populaires.

On s'attachera néanmoins à complexifier cette vision d'une science officielle centralisatrice et indûment prédatrice des connaissances du peuple, notamment au travers d'une mise en perspective critique des thèses défendues par Clifford Conner dans son Histoire populaire des sciences. Ainsi, on s'interrogera sur les présupposés de certaines tentatives de réhabilitation a posteriori.

D'une certaine façon, la popularité posthume de Coste – proclamé « inventeur de la pisciculture » – nous semble être l'indice de la nature intrinsèquement sociale de l'activité scientifique telle qu'elle est conçue à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Si l'on pousse l'analyse à l'extrême, on peut même être amené à considérer qu'il n'y a pas de motif rationnel qui doive laisser croire que l'« intelligence mondaine » – c'est-à-dire l'influence sociale et les réseaux mobilisables par un individu – soit inférieure à l'intelligence expérimentale ou mathématique, dite « scientifique ». Qu'est réellement ce complexe alchimique que constitue la science, trop souvent imaginé pur de tout social, flottant dans le ciel des concepts et des idées ? La question n'est, évidemment, pas ici morale, mais bien historique, sociologique et philosophique, puisqu'il s'agit pour nous de comprendre ce qui se joue dans cette affaire pour tenter de distiller la délicate essence de la science, cet étonnant mélange qui goutte de l'athanor social.

 



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